La méthode Dullin d'improvisation
Dans son livre Souvenirs et notes de travail d'un acteur, Charles Dullin au milieu du siècle dernier, élève de Copeau, décrit ce qu'il entend par méthode d'improvisation. La description de sa méthode occupe une place importante dans son court livret. La première partie est purement sensorielle. Il cherche à éveiller l'écoute, les capacités d'observation...
1. La voix du monde - les cinq sens
Combien d'acteurs savent « écouter »? C'est au moins aussi important que de savoir parler. Les exercices d'impro vont ouvrir les yeux de cet élève sur une des lois fondamentales de notre art dont la méconnaissance est à la base de toutes ces gau cheries ; ressentir avant de chercher à exprimer, « regarder « et « voir » avant de décrire ce qu'on a vu, « écouter » et « entendre » avant de répondre à un interlocuteur.
Regardez un paysage...
Suivez le vol d'un oiseau dans l'espace.
Observez un. insecte...
Ecoutez des cloches, au loin.
Ecoutez le pas de quelgnffÉjà qui se rapproche de vous.
Sentez un parfum agréable. Respirez l'air frais du -matin. Sentez une odeur désagréable.
Eprouvez la chaleur de i*eau avec votre main.
Touchez une étoffe rugueuse.
Savourez un fruit que vous cueillez à ù« arbre
Goûtez des vins de différents crus.
Buvez un breuvage amer.
Il développe ensuite des exercices de mémoire sensorielle
2 De la voix du monde à la mémoire sensorielle
Mais voilà que ce paysage que vous regardez, évoque un souvenir d'enfance et vous entrez dans une mélancolie passagère. Ces cloches que vous entendez vous rappellent le glas des funérailles d'un être cher. Ce parfum que vous respirez vous pensez à le donner à une amie, etc..
« La Voix du Monde » va faire surgir la voix qui vient de l'intérieur de l'individu que nous appellerons « Voix de soi-même
Il propose ensuite des exercices d'improvisation de complexité croissante mettant l'acteur en situation.
3. Impros de Situation
Il est important d'éviter la crispation qui vient le plus souvent de la préocuppation que l'acteur a du public.
L'élève alors ose. Cet exercice d'ensemble permettra d'ouvrir: les yeux, de l'élève sur une foule de problèmes: la décontraction musculaire, la marche, l'attitude, le rythme, le regard qui après avoir scruté le monde extérieur se tourne vers le monde ïntérieur.
1° Deux amoureux arrivent sur scène ; ils marchent tendrement enlacés ; ils respirent la confiance, la joie intérieure sans mélange ; tout est beau autour d'eux. Us viennent s'asseoir sur un banc adossé à un grand
mur nu.
2° Derrière ce mur imaginaire il y a la cour d'une prison. Des prisonniers, conduits par un gardien viennent y tourner en rond. (Silhouettes des prisonniers, du gardien, atmosphère.)
3° Les amoureux s'aperçoivent du lieu où ils se trouvent.
4° La ronde continue.
5° L'homme monte sur le banc pour regarder par dessus le mur.
Impression pénible qui se communique à la jeune fille, sans qu'elle ait osé regarder.
6° La ronde continue, sinistre.
7° Cette détresse humaine rapproche un instant les amoureux, un peu plus encore, mais elle jette sur leur joie un voile de tristesse. Tout s'enlaidit autour d'eux. Ils s'éloignent silencieux. La ronde continue... Un des prisonniers tombé, exténué. Les autres s'arrêtent. Regard hostiles envers le gardien.
Fin.
4. La découverte du monde
Des exercices comme "découverte du monde" aide l'élève à se libérer.
Avec l'impro, l'élève va mettre en jeu son propre rythme. Il comprend que le rythme vivifie l'immobilité même. Efforcez-vous d'oublier le plus possible votre corps et sa pesanteur.
Etendu par terre, le visage couvert d'un demi masque, décontractez-vous en recherchant l'anéantissement total. Un souffle léger frôle votre visage, court sur votre corps ; vous ouvrez les yeux et vous « découvrez » le monde ; le ciel, la terre, la végétation... Selon votre tempérament vous éprouverez une sensation de plénitude, de joie ou de force, ou même encore de terreur ; vous vous dresserez sur vos jambes encore lourdement rivées au soi ; dans le ciel passent des nuages ; c'est! l'envie de les atteindre ou la crainte du mystère ; Vous voyez une fontaine, vous en approchez ; l'eau vous renvoie votre image ; vous voulez saisir cette image, l'eau fuit entre vos doigts... Le soleil se montre et vous éblouit... Le sang qui circule dans vos veines, la vie que voua sentez en vous vous poussant à des réactions phy siques violentes, vous vous arrachez à la terre et vous improvisez une danse...
Le travail avec des silhouettes d'animaux. Il prolonge avec le masque qui dépouille le comédien de ses artifices, le "dépersonnalise" en quelque sorte. Dullin réalise pour la première fois l'exercice ci-dessous avec Antonin Artaud.
5. Les animaux et le masque
Vous êtes obligé de traverser un torrent de montagne. Vous luttez contre le courant. Vous avez trop présumé de vos forces, le courant vous emporte. Vous luttez, désespérément, vous perdez pied. Vous vous noyez. »
Dullin conclut ainsi :
Les disciplines collectives qu'impose le travail « d'improvisation » en même temps que la culture individuelle sont d'excellents moyens pour préparer l'instrument favorable à l'éclosion d'un mouvement théâtral moderne.
30.03.09
00:44:38, Catégories: Atelier d'impro, Théâtre, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 264 mots
De Johnstone à Spolin: l'acteur qui danse!
Après une longue période "johnstonienne", où je me suis très inspiré des exercices de Keith Johnstone dans mes ateliers, je m'intéresse beaucoup à Spolin. Ses exercices m'ont paru au début difficiles à partager et à mettre en place. Je crois l'avoir mieux compris aujourd'hui et j'ai pu élargir ma palette d'exercices. Par exemple, l'expression corporelle que nous délaissons parfois est fondamentale chez elle. Elle rejetait toute approche compétitive pour une raison intéressante: la compétitition peut remettre en selle le jugement critique et nuire à la progression de l'acteur. Cette découverte de Spolin me permet de mettre plus en lumière la méthode originale de Keith Johnstone. Celle-ci consiste à explorer de façon jubilatoire, la pure mécanique de la spontanéité, le bonheur de jouer et d'improviser comme si une force extérieure à l'acteur le conduisait! Celle de Spolin est dans la lignée de l'histoire du théâtre européen: retrouver la spontanéité et l'appréhender comme un moteur essentiel de l'acteur du théâtre formel. Malgré le texte et la mise en scène préconçus.
J'ai éprouvé avec intérêt la conception de l'espace de Spolin. L'acteur s'appuie sur ce qu'elle appelle la substance de l'espace. A la manière d'un poisson dans l'eau qui profite de sa densité et de ses courants pour soutenir ses mouvements. Dans l'immensité de la scène, l'espace vide n'est ainsi pas hostile à l'acteur, il peut y puiser un nouveau soutien en lui donnant vie. L'acteur se coule dans l'espace à la manière d'un danseur.
15.03.09
00:15:53, Catégories: Atelier d'impro, Livres, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 267 mots
La naissance de l'école du Vieux-Colombier
Au début du XXième siècle Jacques Copeau (le Stanislavski français) décide de créer une école de théâtre nouvelle et innovante..."Nous voulons former des comédiens complexes auxquels rien de leur art ne soit étranger, aptes à toute exigence de leur métier, des comédiens qui soient en même temps, comme les Italiens du XVIème siècle , chanteurs, danseurs, musiciens, jongleurs, acrobates, et même improvisateurs." Cette école influencera durablement le théâtre français. L'improvisation est une des pierres de touche de l'enseignement :"Mais l'improvisation est un art qu'il faut apprendre. L'art d'improviser n'est pas seulement un don. Il s'acquiert et se perfectionne par l'étude. Il florissait en Italie et en France, il y a plusieurs siècles. Est-il complètement mort et pouvons-nous le ranimer?" En échangeant avec Jouvet, il propose la technique suivante basée sur l'improvisation calquée sur un style comme celui de Molière: "On leur retire le texte de dessous les pieds comme un escabeau - pour voir ce qu'ils savent faire." Charles Dullin tâtonne lui aussi de son côté et décrit cette technique ainsi:"Je lui fais lire une scène de Molière. Et lorsqu'il l'a lue deux ou trois fois, au lieu de lui faire répéter le texte, je lui fais jouer le personnage avec un texte à lui; les mots lui viennent naturellement et je crois que c'est là un excellent moyen de développer ce goût de l'improvisation, en le nourrissant d'une matière première qu'il brode à sa fantaisie"
20.02.09
00:35:06, Catégories: Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 54 mots
Stanislavski : une oeuvre
On écoutera l'émission consacrée à Stanislavski animée par Marie-Christine Autant-Mathieu auteur du dernier livre en français sur Stanislavski. Les archives soviétiques s'ouvrent peu à peu et Stanislavski est encore à découvrir. Elle insiste sur les errements multiples qui affranchissent le système stanislavskien de toute attitude doctrinaire et bien d'autres choses...
10.02.09
00:34:33, Catégories: Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 36 mots
Histoire de l'improvisation théâtrale
On consultera sur youtube cette intéressante vidéo en trois parties sur l'histoire du match d'impro au Québec.
Résumé graphique de l'histoire de l'improvisation théâtrale présentée dans le manuel d'impro
10.01.09
00:29:28, Catégories: Atelier d'impro, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 25 mots
Le match d'insultes et la joute oratoire
Le match d'insultes est-il l'ancêtre du "Battle de Vannes"? On trouvera ici un enregistrement d'un match d'insultes et une présentation des joutes oratoires au Tibet.
15.10.08
00:54:24, Catégories: La scène, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 360 mots
Taux d'improvisation par type de spectacle
Vous trouverez ci-dessus un petit modèle calculant le taux d'improvisation d'un type de représentation donné. Ce taux est en quelque sorte un niveau de risque sur un projet théâtral quand on ne reconnaît pas la spontanéité comme un élément moteur. On affiche dans un barême de 1 à 6 les niveaux de préparation sur chacune des dimensions (acteur, mise en scène, écriture). On pondère le jeu d'acteur d'un facteur 2 et l'écriture d'un facteur 3.
Théâtre formel : si la mise en scène et l'écriture tirée du texte théâtral sont préparées en détail dans le théâtre moderne, l'acteur donne plus facilement libre cours à sa spontanéité. C'est sa faculté de revivre les mêmes événements au présent qui lui confére sa véritable qualité d'acteur.
Impro à canevas : Dans l'impro à canevas comme dans la commedia dell'arte, l'acteur connaît son personnage, grossièrement les enchaînements. Reste l'écriture qui elle, est improvisée. Si ce n'est avec l'habitude quelques bribes de texte qui peuvent être reprises.
Impro avec ébauche de canevas : Le canevas est connu mais peu maîtrisé par les joueurs, l'écriture est à la discrétion de l'acteur.
Improvisation totale : Il n'y a rien de défini à l'avance si ce n'est une ébauche de mise en scène, un cérémonial. Par exemple, le public définit les thèmes sous forme de suggestions. Les acteurs ne réinventent pas toujours leur personnage sur-le-champ, ils réutilisent des personnages extraits de leur galerie personnelle. C'est pourquoi dans les spectacles d'impro, la dimension acteur n'est pas forcément à 0 en terme de préparation.
Les comédiens de l'art avaient minimisé le risque en travaillant le jeu d'acteur à travers le masque dévolu à un seul. La mise en scène était maîtrisée grâce à un canevas serré. Il restait surtout l'écriture comme facteur de risque. Au XVIIIème siècle, les pièces de Marivaux ou Goldoni étaient entièrement écrites. Il ne restait aux acteurs qu'à improviser leurs lazzi à des moments précis de pause dans le texte.
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30.09.08
07:36:28, Catégories: Catégories, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 106 mots
Inventer un style théâtral avec Michael Chekhov
Michael Chekhov s'est formé avec Stanislavski. Il avait une imagination foisonnante et a très tôt rejeté l'hypothèse de Stanislavki sur la mémoire sensorielle. Hypothèse qui consistait à aller chercher dans ses souvenirs les émotions passées pour pouvoir s'en inspirer ou les reproduire sur scène. Il a construit une véritable mécanique de construction du personnage basée sur l'imagination et le corps et non pas sur la mémoire affective. Il propose l'exercice suivant qui, cette fois, utilise la mémoire de l'acteur : se souvenir de son dernier rêve et inventer un style théâtral à partir de celui-ci.
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25.09.08
07:48:48, Catégories: Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 173 mots
Stanislavski et la découverte de la science du théâtre
Le début du XXième siècle au théâtre avec les travaux de Stanislavki, c'est un peu comme la mécanique quantique en physique. Des avancées considérables ont été réalisées sur la science de l'art du théâtre comme en physique. Il est probable que sans Stanislavski et ses tâtonnements, nous ne ferions pas de l'impro comme nous en faisons aujourd'hui. Viola Spolin serait resté une sympathique monitrice pour enfants, Robert Gravel aurait fait une carrière de hockeyeur et Keith Johnstone serait guide de moyenne montagne. Stanislavski et ses "disciples" ont laissé quantité d'exercices dont nous nous inspirons chaque jour en atelier sans jamais nous en rendre compte. Cela ne rendra évidemment pas meilleur un acteur de savoir que tel exercice a été inventé par Stanislavski, Vakhtangov, Chekhov ou Meyerhold. Néanmoins je ne résiste pas au plaisir de donner l'exemple de l'exercice du miroir qui fait partie du patrimoine du théâtre. Cet exercice a été inventé dans les années par Vakhtangov.
25.06.08
14:45:32, Catégories: Livres, Histoire du théâtre (ou de l'improvisation théâtrale), 244 mots
La suffisance du théâtre occidental... vampirisé par Aristote
Dans un livre critique sur le théâtre contemporain, Florence Dupont, spécialiste de théâtre grec, considère que la primauté du texte sur la scène est une construction artificielle inspiré d'Aristote.
En son temps, la Poétique fut une machine de guerre contre le théâtre traditionnel. Aristote inventait un théâtre littéraire, élitiste, austère, sans corps ni musique ni dieu : un théâtre de lecteurs. L'idéologie aristotélicienne est plus que jamais présente dans notre théâtre contemporain - souvenons-nous du festival d'Avignon 2005 et des polémiques autour d'Olivier Py et Jan Fabre. Cette idéologie est partout : dans le texte sacralisé, « tout le texte, rien que le texte », dans le récit, surnommé « fable » depuis Brecht, et placé au centre de tout, dans la mise en scène elle-même et la dramaturgie, inventions pourtant récentes. Ainsi, public, metteur en scène et dramaturge se trouvent aujourd'hui réduits à n'être plus que les lecteurs d'une histoire.
Aristote a déthéâtralisé, désenchanté le théâtre. Libérer la scène contemporaine, c'est redécouvrir les théâtres ritualisés, ludiques, musicaux. L'aristotélisme moderne a commencé à s'installer avec Goldoni et le siècle des Lumières, au cri de « Dehors les Bouffons ! ». Ce livre voudrait contribuer au retour des bouffons.
De Johnstone à Spolin: l'acteur qui danse!
Après une longue période "johnstonienne", où je me suis très inspiré des exercices de Keith Johnstone dans mes ateliers, je m'intéresse beaucoup à Spolin. Ses exercices m'ont paru au début difficiles à partager et à mettre en place. Je crois l'avoir mieux compris aujourd'hui et j'ai pu élargir ma palette d'exercices. Par exemple, l'expression corporelle que nous délaissons parfois est fondamentale chez elle. Elle rejetait toute approche compétitive pour une raison intéressante: la compétitition peut remettre en selle le jugement critique et nuire à la progression de l'acteur. Cette découverte de Spolin me permet de mettre plus en lumière la méthode originale de Keith Johnstone. Celle-ci consiste à explorer de façon jubilatoire, la pure mécanique de la spontanéité, le bonheur de jouer et d'improviser comme si une force extérieure à l'acteur le conduisait! Celle de Spolin est dans la lignée de l'histoire du théâtre européen: retrouver la spontanéité et l'appréhender comme un moteur essentiel de l'acteur du théâtre formel. Malgré le texte et la mise en scène préconçus.